Bonjour, particules de sève de Peuplier,
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Je m’appelle Marie, j’ai 29 ans, j’habite actuellement en Mauricie et, l’été passé, j’ai terminé un processus de recherche et d’achat de terrain boisé en Gaspésie.
Cette aventure a été, pour être bien honnête, un défi technique et émotionnel absolument difficile à surmonter.
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En fin de parcours, après deux ans de scrupuleuses recherches et une série interminable de procédures excessivement éloignées de ce qui fait Sens et Beauté pour moi, j’ai ressenti le besoin d’écrire une publication ici.
Depuis plusieurs mois, un document de plusieurs pages plus ou moins chaotique et densément informatif dormait dans mon ordinateur. Ce document était destiné aux humain-es intéressé-es à faire l’acquisition éventuelle d’un terrain au Québec et qui n’auraient pas du tout su par où commencer. Ce document listait les différentes étapes du processus jusqu’à la signature finale – les types de règlementations à vérifier, les diverses institutions à contacter ainsi que des observations concernant certains détails, surprises et, disons-le, absurdités.
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En fait, je crois que je rédigeais ce document pour les êtres qui me ressemblent : lunatiques, poétiques, réactifs devant l’autorité – êtres aux projets colorés désirant exister matériellement, mais qui ne semblent cadrer nul part – nul part où il est permis d’être, en tous les cas.
Je relisais et relisais ce document, tentant d’en faire un condensé lisible de tout ce que j’avais appris sur le tas et que je jugeais pertinent – zonage, normes, construction, bureau de ci, bureau de ça, le notaire, les documents, les visites, etc.
Non seulement la liste n’en finissait plus mais elle était gorgée d’une subjectivité évidente.
Non, je n’ai pas réussi à enlever le champs lexical péjoratif entourant cette expérience aux côtés des instituts numérotés, des vendeurs-vendeuses et des systèmes téléphoniques automatisés.
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Après un moment de résilience et d’apaisement, je me rendis compte que ce n’était pas mon véritable mandat, de communiquer par une objectivité sans faille. Je ne suis pas douée pour raconter les faits, les chiffres, les chemins clairs et dirigés. Je suis une passionnée et une sensible – comme beaucoup d’entre vous, je le sais trop bien.
Nous sommes des ennivré-es – des ennivré-es devant la beauté de la nature et de l’univers. Nous sommes ennivré-es devant la fleur, la terre, le germe, l’oeuf, l’artisanal, les partages, devant la chaleur de la sincérité et devant les saisons et leurs dures exigences fascinantes.
Nous sommes des ennivré-es devant ce qui fait Sens
et devant ce qui ne fait PAS sens, parfois, malheureusement OU heureusement, nous sommes ennivré-es aussi.
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Devant les montants-montagnes d’argent insurmontables, devant le rythme accéléré, devant amendements et restrictions n’en finissant plus de s’ajouter en broussaille d’années en années,
personnellement,
Oui,
personnellement, je suis ennivrée également.
Je suis ennivrée de fatigue, de lourdeur, d’anxiété.
Ennivrée de doutes, de couleurs grisaillantes, d’élans coupés à ras le souffle.
Mélangée devant tout ce non-sens, mon cerveau me dit souvent que le projet grandissant en moi, qui me semble de l’ordre de la beauté, ne devrait pas passer par ce chemin de confusion intoxiquée.
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Puisqu’entouré de tant de calculs et de pressions, j’ai le réflexe du recul.
Reculer. Remettre en question, encore. Le rêve est-il cohérent même s’il passe parmi un long tuyau de produits décalés. La conception va-t-elle réellement retrouver son sens intégral, une fois passée les obstacles de la bureaucratie.
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J’ai l’impression que plusieurs, ici, se reconnaitront dans ces mots.
Nous sommes beaucoup à douter des limites qu’imposera la vie sociétale devant nos intérieurs gorgés d’intuitions magnifiques. Nos orteils resteront-ils coincés dans l’engrenage du capitalisme sauvage ou sauront-ils s’adapter dans l’intégrité et la sérénité, toujours.
Derrière cette pulsion d’écrire cette liste paternaliste d’éléments législatifs et financiers, je crois que j’avais simplement envie de m’ouvrir à vous concernant cette aventure qui a été chargée, pour moi, de tant d’émotions paradoxales très fortes.
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‹ ‹ Achat › ›.
‹ ‹ Propriété › ›.
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Quels termes insensés et abrasifs pour parler d’une bribe de cette terre sensée être libre, ou sensée être libre d’être liée, entre autre, aux peuples qui habitaient ces territoires avant nous, avant ces violences tant ignorées.
Nous qui aspirons au respect, à la protection du sacré, à une plus grande liberté et autonomie de tout ce qui existe,
Nous qui regardons nos moteurs bienveillants traverser les étaux serrés du système avec, trop souvent, un scepticisme de doigts croisés…
Je nous entends, il me semble, chuchoter constamment : ‹ ‹ Je souhaite qu’il soit encore possible de Créer › ›.
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La liberté de la propriété.
Protéger ces quelques hectares sous le seul pouvoir de l’illusion monétaire.
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Et pourtant
malgré ce scepticisme, cette peur,
c’est la voie que j’ai choisie
pour l’instant.
C’est la voie que j’essaie,
sur laquelle je vais marcher, confectionner
et me tromper très souvent.
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Et malgré ces doutes, ces souhaits oscillants entre la quête de la sagesse paisible et les poings affirmatifs tendus au ciel,
il y a une réalité sur laquelle je peux me fonder:
Celle du respect abondant que l’on ressent, êtres d’amour que nous sommes,
devant toutes les particules de ces hectares remplis de vivant.
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Non, je ne respecterai pas tous les petits caractères en bas de toutes vos annexes brochées,
non, je ne courerai pas jusqu’à m’essoufler afin de remettre mon chèque de taxes annuelles,
mais je remercierai, à tous les jours, à tous les levers, couchers et transitions du soleil et de la lune,
toutes les entités merveilleuses qui continuent d’éclore sur ce lot où faune, flore, monde minéral et autres abondent encore.
Je prierai vers toutes les pierres, toutes les pluies, j’hononerai toutes les branches que je couperai et tous les crustacés que je délogerai de leur nid.
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Et ÇA, cette certitude que toutes les entités méritent respect et égalité, ça restera une racine qui ne bougera PAS.
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La législation et le système économique peuvent démollir des cabanes-sculptures, des forêts entières, des marais, des granges centennaires,
Ils peuvent raser des lots et reconstruire, partout, d’éphémères palais d’aluminium,
Mais jamais ceux-ci ne pourront démollir les réelles fondations, les douces intentions qui nous ennivrent.
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Sapins baumiers, asters, aulnes rouges, fougères
Cerfs, coléoptères, sécheresses et orages,
Je vous aime comme frères et soeurs
Parmi vous, c’est chez moi
et j’espère que, parmi moi, vous serez chez vous aussi.
Puisque vous êtes les rois et reines véritables du territoire.
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La royauté partagée d’une cohabitation sauvage, dangereuse mais sensible et créative, voilà le souhait derrière mes paperasses.
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Le froid comme timidité de la peau
Le soleil comme coup de chapeau et de joie
La nuit comme baume du muscle
Le jour comme mains fondues dans les airs et le sol
Le feu comme liaison des âmes humaines
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Il est temps pour moi de choisir le courage radical d’aimer au-delà
au-delà de la voix qui numérote mon nom au bout du fil
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L’amour radical
comme coeur du poétique devenant politique
L’amour radical
comme fondation inébranlable, assise dans le noble trône de nos ventres scintillants de Vie.
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Nous vivons une ère importante de changement.
L’évidence de l’effritement de nos mondes modernes, sous le poids de nos nombres croissants et du déferlement innarêtable de nos créations humaines, révèle des avenues autres, demandant résilience et guérison : Le rebalancement naturel est en marche et ne reculera pas.
S’il y a, dans le terme ‹ ‹ Résilience › ›, une sagesse transcendant un certain présent dont le centre est en noeud
il y a également, devant le retrait face à ce qui nous détruit lentement, devant le fait de se savoir goûter une dernière fois à la saveur intense du grincement de l’aluminium et de l’encre fanée,
une exaltante vision de lumière à venir.
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Je ne souhaite plus combattre, je souhaite suivre la cadence puissante de la Nature et écouter les murmurs sous-jaçents, vastes et subtils, de la matière.
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Merci, sèves du Peuplier, d’aimer les fruits de l’ultime royauté
Je ne vous connais pas, mais je vous sais, déjà, belles et beaux
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Aussi, je sais que nous avons toutes et tous des visions uniques du monde.
C’est donc en extrême humilité et en toute conscience de cette grande subjectivité que je dépose ici ces quelques phrases.
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Merci pour l’espace d’expression.
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Au plaisir de vous croiser ici, en mots,
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ou au détour d’une souche ancestrale ou d’une plage aux couleurs immémoriales,
Marie